EPISODE2 - Nos sociétés industrialisées sont encore loin de la baisse radicale du temps de travail prÎnée par le philosophe dans son "Eloge de
ĂLOGEDE LâOISIVETĂ Bertrand Russell (1932) Lâauteur : Bertrand Russell (1872-1970) Russell est un mathĂ©maticien, logicien, philosophe, Ă©pistĂ©mologue, homme politique et moraliste britannique. Russell est considĂ©rĂ© comme l'un des philosophes les plus importants du XXĂšme siĂšcle. Sa pensĂ©e peut ĂȘtre prĂ©sentĂ©e selon trois grands axes : âą La
etquâainsi on crĂ©e de lâemploi. Tant quâon dĂ©pense son revenu, on met autant de pain dans la bouche des autres en dĂ©pensant quâon en retire en gagnant de lâargent. Le vrai cou - pable, dans cette perspective, câest lâĂ©pargnant. Sâil se contente de garder ses Ă©conomies dans un bas de laine, il est manifeste que celles-ci
Elogede l'oisivetĂ© - - Bertrand Russell - LâĂloge de l'oisivetĂ© est une pĂ©pite dĂ©nichĂ©e dans lâĆuvre immense et protĂ©iforme de Bertrand Russell. Dans la grande tradition des essayistes anglais (Swift, Stevenson), il manie le paradoxe pour s'attaquer aux fondements mĂȘmes de la civilisation moderne.
Livreaudio de l'Ăloge de l'oisivetĂ© (titre original : "In Praise of Idleness") de Bertrand RUSSELL, court essai publiĂ© en 1932 dans le journal Review of Rev
BertrandRussell [1872-1970], Ăloge de l'oisivetĂ©. [1932]. Paris: Les Ăditions Allia, 2002, 40 pp. PremiĂšre Ă©dition, 1932, Routledge and The Bertrand Russell Peace Fondation. Paris: Ăditions Allia, 2002, pour la traduction française, 40 pp. Traduit de lâanglais par Michel Parmentier. La version anglaise est disponible sous le titre: âIn Praise of Idlenessâ.
S6pkX8q. Les mĂ©thodes de production modernes nous ont la possibilitĂ© pour lâensemble de la vie Ă la hausse et Ă la sĂ©curitĂ©. Nous avons dĂ©cidĂ©, Ă la place de la surcharge de travail pour les deux parties et de la misĂšre pour tous les autres ce que nous avons Ă juste titre stupide, mais il nây a aucune raison de notre bĂȘtise continuer Ă©ternellement. TĂ©lĂ©chargez gratuitement le livre Eloge de lâoisivetĂ©, publiĂ© le 18/01/2002 par l'Ă©diteur Allia en format .epub ou .pdf. Le fichier a des 38 pages et sa taille est de 182kb fichier .epub.TĂ©lĂ©charger .epubTĂ©lĂ©charger .pdfAcheter chez Amazon
Travail forcĂ© et Ă©thos du travail Claus Peter Ortlieb* Voir le Fichier C_P_Ortlieb_Travai Les mĂ©thodes de production modernes ont rendu possibles le confort et la sĂ©curitĂ© pour tous ; Ă la place, nous avons choisi le surmenage pour les uns et la famine pour les autres. JusquâĂ prĂ©sent nous avons continuĂ© Ă dĂ©ployer la mĂȘme activitĂ© quâau temps oĂč il nây avait pas de machines ; en cela nous nous sommes montrĂ©s stupides, mais rien ne nous oblige Ă persĂ©vĂ©rer Ă©ternellement dans cette stupiditĂ©. » Bertrand Russell, Eloge de lâoisivetĂ©, 1932 Quatre-vingt ans et une crise Ă©conomique mondiale plus tard, notre intelligence nâa manifestement guĂšre progressĂ©, au contraire si depuis lors la productivitĂ© du travail dans lâindustrie et lâagriculture sâest vue grosso modo dĂ©cuplĂ©e, on ne peut pas dire quâelle ait apportĂ© Ă tous confort et sĂ©curitĂ©. LâEurope, qui certes, pour le moment, sâest sort encore relativement bien, assiste Ă une hausse record de son taux de chĂŽmage. Quant aux quelques Ăźlots qui demeurent compĂ©titifs au plan global, ils luttent depuis des annĂ©es dĂ©jĂ contre les nouvelles pandĂ©mies provoquĂ©es par la contraction progressive de lâoffre de travail du burn-out-syndrom[1] Ă la mort subite due au surmenage en passant par la consommation routiniĂšre de produits psychopharmaceutiques. Gardons-nous cependant dâimaginer que cette ardeur excessive au travail constatĂ©e par Russell ne serait rien dâautre quâune habitude devenue obsolĂšte et quâil nous suffirait de laisser tomber â une habitude hĂ©ritĂ©e du temps oĂč il nây avait pas de machines. Au Moyen Age, oĂč le travail comme fin en soi Ă©tait chose inconnue, on travaillait en fait moins quâaujourdâhui. La raison en est simple le travail tel que nous lâentendons, câest-Ă -dire la dĂ©pense abstraite dâĂ©nergie humaine indĂ©pendamment de tout contenu particulier, est historiquement spĂ©cifique. On ne le rencontre que sous le capitalisme. Dans nâimporte quelle autre formation sociale, lâidĂ©e aujourdâhui si universellement rĂ©pandue selon laquelle un travail, quel quâil soit, vaut mieux que pas de travail » aurait paru, Ă juste titre, complĂštement dĂ©lirante. Ce dĂ©lire est le principe abstrait qui rĂ©git les rapports sociaux sous le capitalisme. Si lâon fait abstraction des activitĂ©s criminelles, le travail â quâil sâagisse du nĂŽtre ou de lâappropriation de celui dâautrui â est pour nous lâunique moyen de participer Ă la sociĂ©tĂ©. Mais, en mĂȘme temps, il ne dĂ©pend pas du contenu de lâactivitĂ© en question ; que je fasse pousser des pommes de terre ou que je fabrique des bombes Ă fragmentation nâa aucune importance, du moment que mon produit trouve un acheteur et transforme ainsi mon argent en davantage dâargent. Base de la valorisation de la valeur, le travail constitue une fin en soi et un principe social contraignant dont lâunique but consiste Ă accumuler toujours plus de travail mort » sous forme de capital. Une contrainte Ă laquelle tout est soumis dans la mĂȘme mesure ne se maintiendra durablement quâĂ condition que ceux quâelle ligote apprennent Ă aimer leurs chaĂźnes. En cela aussi la sociĂ©tĂ© bourgeoise se distingue des prĂ©cĂ©dentes. DâAristote Ă Thomas dâAquin en passant par Augustin, les philosophes de lâAntiquitĂ© et du Moyen Age ont cĂ©lĂ©brĂ© lâoisivetĂ© â et surtout pas le travail â comme la voie menant Ă une vie heureuse Au dire de la plupart des hommes, le bonheur ne va pas sans le plaisir. » Aristote 384 â 322 av. Ethique Ă Nicomaque Lâapprentissage de la vertu est incompatible avec une vie dâartisan et de manĆuvre. » Aristote, Politique Quittons ces vaines et creuses occupations abandonnons tout le reste pour la recherche de la vĂ©ritĂ©. » Augustin 354 â 430 ap. Les Confessions Absolument et de soi la vie contemplative est plus parfaite que la vie active. » Thomas dâAquin 1125 â 1274, Somme thĂ©ologique Dâautres ne seront pas du mĂȘme avis, tels par exemple les fondateurs de certains ordres monastiques qui verront dans le travail un moyen dâatteindre lâascĂšse et lâabstinence. Mais câest seulement au protestantisme quâil reviendra dâen faire un principe Ă grande Ă©chelle, appliquĂ© Ă lâensemble de la population LâoisivetĂ© est pĂ©chĂ© contre le commandement de Dieu, car Il a ordonnĂ© quâici-bas chacun travaille. » Martin Luther 1483 â 1546 Et les LumiĂšres nâauront de cesse dâĂ©lever lâĂ©thos du travail, autrement dit lâobligation morale de travailler, au rang de fin en soi Il est de la plus haute importance que les enfants apprennent Ă travailler. Lâhomme est le seul animal qui doit travailler. » Kant, RĂ©flexions sur lâĂ©ducation, 1803 La plus grande perfection morale possible de lâhomme est de remplir son devoir et par devoir. » Kant, Principes mĂ©taphysiques de la morale, 1797 Il nâexiste quâune seule Ă©chappatoire au travail faire travailler les autres pour soi. » Kant, Critique du jugement, 1790 De ces trois vices la paresse, la lĂąchetĂ©, la faussetĂ©, le premier semble ĂȘtre le plus mĂ©prisable. » Kant, Anthropologie dâun point de vue pragmatique, 1798 Que lâon sâinforme tout particuliĂšrement sur les personnes qui se distinguent par une conduite indigne ! On dĂ©couvrira invariablement soit quâelles nâont pas appris Ă travailler, soient quâelles fuient le travail. » Fichte, Discours Ă la nation allemande, 1807 Comme il apparaĂźt dĂ©jĂ dans les derniĂšres citations, lâamour du travail sâavĂšre Ă©troitement liĂ© Ă la haine des oisifs Chacun doit pouvoir vivre de son travail, dit un principe avancĂ©. Ce pouvoir-vivre est donc conditionnĂ© par le travail et nâexiste nullement lĂ oĂč la condition ne serait pas remplie. » Fichte, Fondement du droit naturel, 1796 Dans les pays chauds, lâhomme est mĂ»r plus tĂŽt Ă tous Ă©gards mais nâatteint pas la perfection des zones tempĂ©rĂ©es. LâhumanitĂ© dans sa plus grande perfection se trouve dans la race blanche. Les Indiens jaunes nâont que peu de capacitĂ©s, les Noirs leur sont bien infĂ©rieurs encore, et au plus bas de lâĂ©chelle se placent certaines peuplades amĂ©ricaines. » Kant, GĂ©ographie physique, 1802 Le barbare est paresseux et se distingue de lâhomme civilisĂ© en ceci quâil reste plongĂ© dans son abrutissement, car la formation pratique consiste prĂ©cisĂ©ment dans lâhabitude et dans le besoin dâagir. » Hegel, Principes de la philosophie du droit, 1820 Ces propos excluants et racistes sous la plume des philosophes des LumiĂšres ne sont nullement de simples accidents de parcours mais relĂšvent au contraire de lâessence mĂȘme de lâidĂ©ologie du travail. Parce que ce courant de pensĂ©e transfigure le travail en vĂ©ritable but de lâexistence de lâhomme », tous les dĂ©sĆuvrĂ©s se voient par contrecoup exclus de la race humaine » lâhomme est tenu de travailler ; partant, celui qui ne travaille pas ne peut prĂ©tendre au statut dâĂȘtre humain Ă part entiĂšre. Ce qui sâexprime ici, câest la colĂšre du bourreau de travail blanc envers la pression quâil sâest lui-mĂȘme imposĂ©e, une colĂšre qui prend pour cible tout ce qui fait mine de ne pas se soumettre Ă ladite pression et de mener une existence oisive les femmes, en charge de la vraie vie » au sein de la sphĂšre privĂ©e â dissociĂ©e du travail â de la famille bourgeoise ; toutes sortes de peuples les attributions sont, cette fois, plus variĂ©es vivant, sans travailler, dâamour et dâeau fraĂźche ; ou encore le capital accapareur[2] », qui sâapproprie sans travailler la survaleur créée par dâautres. Les idĂ©ologies modernes du sexisme, du racisme, de lâantitsiganisme et de lâantisĂ©mitisme sont fondĂ©es, elles aussi, sur lâĂ©thos du travail. A partir des annĂ©es 1970, en faisant disparaĂźtre du procĂšs de production des quantitĂ©s toujours croissantes de travail, le potentiel de rationalisation de la microĂ©lectronique a plongĂ© le capitalisme dans la crise. Pour autant, la pression intĂ©rieure et extĂ©rieure qui pousse les hommes Ă travailler nâa pas diminuĂ© mais sâest mĂȘme au contraire accentuĂ©e Ă mesure que se rarĂ©fiaient les emplois ». Pour les laissĂ©s pour compte, les conditions se sont durcies ils sont dĂ©sormais trop nombreux pour que leur entretien humain reste longtemps encore compatible avec le maintien de la compĂ©titivitĂ© au plan global. La nĂ©cessitĂ© incontournable de ramener les hommes au travail » Angela Merkel ne fait quâobscurcir la perception du problĂšme la responsabilitĂ© du chĂŽmage ne serait plus imputable Ă la disparition progressive du travail mais aux chĂŽmeurs eux-mĂȘmes, quâil faudrait par consĂ©quent ramener, par tous les moyens de coercition dont on dispose, Ă un travail qui nâexiste plus. Quelque chose de semblable se dĂ©roule Ă©galement au niveau europĂ©en on impose aux pays en faillite » restĂ©s Ă la traĂźne de lâEurope des politiques dâaustĂ©ritĂ© grĂące auxquelles ils sont censĂ©s, une fois cette pĂ©nible Ă©preuve traversĂ©e, redevenir compĂ©titifs. Câest aussi crĂ©dible que si la FĂ©dĂ©ration allemande de football prĂ©tendait, par un entraĂźnement appropriĂ©, hisser tous Ă la fois les dix-huit clubs de la Bundesliga[3] aux quatre places possibles en Ligue des champions[4]. Il nây a manifestement dâissue que dans lâabolition du travail, mais cela implique bien sĂ»r dâabolir Ă©galement le capitalisme. Sây oppose en outre notre Ă©thos du travail, fruit de plusieurs siĂšcles de dressage Dâaucuns diront quâil est certes agrĂ©able dâavoir un peu de loisir, mais que les gens ne sauraient pas comment remplir leurs journĂ©es sâils nâavaient Ă travailler que quatre heures par jour. Dans la mesure oĂč cela est vrai dans le monde moderne, cela constitue un reproche adressĂ© Ă notre civilisation ; Ă toute autre Ă©poque antĂ©rieure, ce nâaurait pas Ă©tĂ© le cas. » Bertrand Russell, Eloge de lâoisivetĂ©, 1932 Le sort que Hegel assignait aux barbares » nous revient donc celui qui est sans emploi nâa plus quâĂ rester plongĂ© dans son abrutissement ». Autrement dit si le sujet bourgeois rĂ©pugne tellement Ă imaginer sa vie sans le travail, câest aussi parce que derriĂšre son Ă©thos du travail rĂŽde la peur panique de sa propre vacuitĂ©. Version augmentĂ©e du texte publiĂ© dans Konkret, n°5, 2012 Traduction de lâallemand SĂźnziana [1]Ndt Syndrome dâĂ©puisement professionnel. [2]Ndt Allusion Ă la vision nazie mais qui est aussi celle dâune partie de la gauche opposant un bon capital crĂ©ateur schaffende Kapital Ă un mauvais capital accapareur raffende Kapital. [3]Ndt Le championnat fĂ©dĂ©ral allemand. [4]Ndt Le championnat europĂ©en.
Câest un essai quâon regarde dâabord du coin de lâĆil, sourire aux lĂšvres. Son titre et son sous-titre en jaune fluo semblent plus provocateurs que dignes de la page psy du lundi. Voyez plutĂŽt Ne rien faire, une mĂ©thode approximative & contradictoire pour devenir paresseux sans se donner trop de mal Ed. Kero, 2019. Et puis, Ă lire cette fine fugue du journaliste Thomas Baumgartner, on est frappĂ© par sa pertinence et sa profondeur. Pas seulement parce que SĂ©nĂšque, AndrĂ© Filliou, Paul Lafargue ou Stevenson sont conviĂ©s en renfort de cette thĂšse du moindre effort. Surtout, parce quâil sâen dĂ©gage une sĂ©rĂ©nitĂ©, une dĂ©termination Ă viser le moins dâencombrements pour le plus de libertĂ© et de fantaisie. Et puis, la flemme a ses hĂ©ros, Snoopy, Gaston Lagaffe, The Big Lebowski⊠Des modĂšles qui nous rappellent quâĂȘtre humain, ce nâest pas se tuer Ă la tĂąche, mais apprĂ©cier la richesse infime et infinie du quotidien. La paresse sâapprivoise, lâoisivetĂ© a son mode dâemploi. Suivez le guide!Ni dormir, ni mourirAvant tout, lâauteur, qui a brillĂ© Ă France Culture avant de diriger pendant deux ans Radio Nova, prĂ©sente ce que ne rien faire» nâest pas. Ce nâest ni dormir, ni mourir. Car il faut ĂȘtre Ă©veillĂ© et vivant pour mener ce combat du rien, ce sublime dĂ©nuement qui permet lâĂ©closion dâune nouvelle dimension. Ce nâest pas le silence, non plus, car le silence renverrait le sujet Ă ses acouphĂšnes â oui, le futur oisif a beaucoup fait la fĂȘte par le passĂ©. Mais ce peut ĂȘtre une musique sans dĂ©but, ni fin, une musique expĂ©rimentale, car si lâon Ă©coute de la pop, on chante le refrain et, du coup, on ne fait pas rien. Cela dit, comme Thomas Baumgartner cultive la contradiction, il autorise Jacques Higelin, chantre du moment prĂ©sent et de la chute dans lâinconnu. TombĂ© du cielâŠAlors, ne rien faire, câest quoi? Câest, impĂ©rativement, rester chez soi. Pour deux raisons. DĂ©jĂ parce que sortir expose Ă une interaction sociale et dans interaction, il y a action». Ensuite, parce que nos appartements recĂšlent des trĂ©sors totalement sous-estimĂ©s. En restant chez soi, parfaitement inactif, mais les yeux ouverts, on revisite son propre foyer, on en redĂ©couvre les charmes autrefois nĂ©gligĂ©s par un rapport fonctionnel et pressĂ© au aussi Osez vous reposer!Mieux habiter lâespace privĂ©, câest aussi sâhabiter soi-mĂȘme. RedĂ©couvrir son corps sans quâil soit souffrant ou blessĂ©. Lorsquâon travaille, on ne remarque le corps que quand il dĂ©faille. De fait, dans les bureaux, dit lâauteur, les corps souffrent beaucoup. La position assise perturbe votre digestion, affaisse votre sangle abdominale, prĂ©pare les phlĂ©bites.» Quant Ă lâĂ©cran, il vous accapare. Sachez que des yeux qui ne sâexercent quâĂ quelques centimĂštres dĂ©veloppent une myopie. Il faut voir court et loin dans la mĂȘme journĂ©e, plusieurs fois, pour maintenir souple le cristallin.» Enfin, le corps souffre aussi de sâhabiller serrĂ©, rigide, haut perchĂ©, etc. A la maison, le corps dit sa joie en robe lĂ©gĂšre ou en pyjama. DĂ©couvrez notre grand-format Une semaine sans smartphone? Des lecteurs du Temps tentent lâexpĂ©rience Vous vous ennuyez dĂ©jĂ ? Câest un risque, mais câest un ennui fertile qui, une fois apprivoisĂ©, dĂ©bouche sur une richesse inouĂŻe. Ne dĂ©sire rien, ne dĂ©cide rien, ne choisis rien», enseignait lâartiste Robert Filliou Ă qui voulait atteindre la crĂ©ation permanente». Dans lâinaction, la moindre sensation, le plus petit dĂ©tail visuel ou sonore prennent une immense importance, le sujet se transforme en plaque sensible».Et, bon Ă savoir aussi, le mode par dĂ©faut permet de construire notre mĂ©moire. Quand on ne fait rien, le cerveau fait le point», complĂšte le journaliste qui, pour libĂ©rer lâespace mental, conseille de planter son smartphone dans les plantes prĂšs de lâentrĂ©e. Le sage SĂ©nĂšque recommande lâoisivetĂ© otius qui seule permet un recul mĂ©ditatif Ă la fois positif et salvateur». Et puis, ironise lâauteur, il nây a pas que les oisifs qui sâennuient. DĂ©jĂ bien documentĂ©, le phĂ©nomĂšne du bore-out ou ennui au travail est plus courant et toxique que lâennui domestique. Egalement disponible Sâennuyer au travail? Un enfer qui tue Mais assez de tentatives de lĂ©gitimation! Le flemmard est politique et appelle Ă la rĂ©bellion, se rĂ©jouit Thomas Baumgartner avant de citer ses auteurs phares. Je suis affamĂ© de libertĂ© et me saoule Ă la paresse», clame ClĂ©ment Pansaers dans son Apologie de la paresse, en 1921. Avant lui, dans Le Droit Ă la paresse, de 1883, Paul Lafargue fustige les ouvriers qui se rendent complices des bourgeois» en tentant de rivaliser de zĂšle avec la machine alors quâils pourraient simplement se reposer sur avant, dans son Apologie des oisifs, de 1877, Stevenson, lâĂ©crivain aventurier, prĂŽne lâĂ©cole buissonniĂšre et lâannĂ©e sabbatique pour que les jeunes dĂ©couvrent un savoir non normĂ©. Enfin, le philosophe britannique Bertrand Russell Ă©crit un Eloge de lâoisivetĂ©, en 1932, qui postule un monde oĂč lâon ne travaillerait pas plus de quatre heures par jour». Alors, le bonheur et la joie prendront la place de la fatigue nerveuse, les hommes et les femmes deviendront plus enclins Ă la bienveillance et le goĂ»t de la guerre disparaĂźtra».Gaston le magnifiqueCe ne sont pas les pacifiques Gaston Lagaffe ou Snoopy, oisifs canoniques, qui contrediront ces propos. Le premier fait palpiter le cĆur de Mademoiselle Jeanne avec ses trouvailles aussi ingĂ©nieuses quâinutiles. Le second est le poĂšte parfait, chien de chasse qui ne chasse jamais, prĂ©fĂ©rant vivre dans un univers imaginaire oĂč il se voit astronaute, pilote dâĂ©lite ou chevalier. Lire enfin Une sieste par jour, le meilleur mĂ©dicament Lâauteur cite encore Antoine Doinel, personnage fĂ©tiche de François Truffaut, qui passe ses journĂ©es Ă peindre des fleurs dans la cour dâun immeuble. Ou The Big Lebowski, des frĂšres Coen, inactif flamboyant, impermĂ©able aux angoisses communes», comme la trace que chacun a le souci de laisser. Câest que, avait prĂ©venu le journaliste dans son intro, ne rien faire suppose de dompter son ego et dâoublier lâidĂ©e mĂȘme de postĂ©ritĂ© au profit dâun prĂ©sent jouissif, car dĂ©saliĂ©nĂ©âŠOui, mais alors, comment marchera le monde, si tout le monde troque lâactivitĂ© contre le dĂ©sĆuvrement? Comment fera-t-on pour manger, se loger, se dĂ©placer, etc.? En dandy dĂ©gagĂ©, Thomas Baumgartner ne rĂ©sout pas cette impossible Ă©quation. Il dĂ©fend uniquement lâidĂ©e du revenu universel, rente de base distribuĂ©e Ă chacun sans distinction. Son rayon Ă lui, câest le temps retrouvĂ©, la rĂȘverie Ă©veillĂ©e, la libertĂ© de dire un peu non. Et câest un rayon que, sans culpabilitĂ© aucune, nous gagnerons tous Ă explorer. Pour complĂ©ter sur The Big Lebowski The Dude, la naissance du cool
Je ne souhaite pas que ce blog devienne une tribune politique. Mais je ne suis pas impermĂ©able Ă ce qui se passe autour de moi. Ma vie est imprĂ©gnĂ©e de mes rencontres et dĂ©couvertes. La politique me passionne attention pas celle qui s'affiche Ă la tĂ©lĂ© et sur de nombreux journaux, la vraie, la science des affaires de la citĂ© comme son origine Ă©tymologique en tĂ©moigne. ConnaĂźtre nos origines celles de l'homme, de la vie, comprendre comment nous vivons, ce que sont les sociĂ©tĂ©s organisĂ©es, ce qu'elles deviennent, comment elles entretiennent des relations, tout cela est fondamentalement passionnant. Ainsi, les discours de nos hommes et femmes politiques y compris ceux qui s'affichent partout en ce moment et qui ont tendance Ă s'emmĂȘler les pinceaux en confondant les sphĂšres publiques et privĂ©es, ces disours donc rĂ©sonnent en moi et m'interpellent. Mes lectures, mes choix de sorties, s'en trouvent souvent orientĂ©es, ou, si elles ne le sont pas, provoquent parfois des avez lu rĂ©cemment dans la rubrique "Humeurs" mon opinion sur le slogan sarkozyen "travaillez plus pour gagner plus". J'avais alors tentĂ© d'illustrer mon propos avec des ouvrages de la littĂ©rature enfantine et ce cher homonyme Jean-François, du Blog Ă Jef nous proposait aussi dans ce billet Ă©crit Ă quatre mains deux livres et un film. J'ai lu celui qui me manquait et voilĂ qu'il tombe Ă point nommĂ©, Ă l'instant mĂȘme oĂč les menaces les plus sĂ©rieuses pĂšsent sur une des Ă©volutions les plus importantes de ces derniĂšres decennies la rĂ©duction de temps de travail. Il faut dire qu'il avait fallut attendre plus de deux gĂ©nĂ©rations pour que Ă nouveau il y ait une rĂ©duction significative. En 1936, le Front Populaire diminuait de huit heures la semaine de travail en passant Ă 40 heures et enfin Ă l'aube du XXI° siĂšcle nous gagnions encore 4 heures d'oisivetĂ© grĂące aux lois Aubry Mitterand nous avait royalement accordĂ© une heure lors de son intronisation en arrivant Ă 35 heures. Pour plus dĂ©tails se reporter Ă cet article historique sur WikipĂ©dia. Mais cela est-il Ă peine tout juste suffisant que nous voilĂ replongĂ©s 70 ans en arriĂšre. Et en plus on voudrait nous faire croire que les "35 heures" Ă©taient une loi rĂ©trograde, passĂ©iste, une formidable erreur dans le concert des Nations. Regardez donc nos voisins ? Ils travaillent eux ! Ben oui ! Mais on dira ce qu'on voudra, j'aime bien ĂȘtre diffĂ©rent surtout quand ma qualitĂ© de vie s'en trouve amĂ©liorĂ©e. Mais voilĂ , il faudrait que les mentalitĂ©s Ă©voluent. Et notamment sur la question de la notion de "Travail". Il est crucial de bien dĂ©finir ce concept. Je vous propose donc de lire ou relire en ces temps obscurs Bertrand Russell et son Ă©loge de l'oisivetĂ©. Je n'en dirais pas plus sur le livre et vous donne juste quelques extraits... Ah ! si, tout de mĂȘme, il a Ă©tĂ© Ă©crit en 1932, et publiĂ© simultanĂ©ment Ă Londres et Ă New-York. Certain pourtant que les inspirateurs des lois du Front Populaire RTT, CongĂ©s payĂ©s... ont dĂ» l'avoir sur leur table de chevĂȘt. Il faudrait l'offir Ă tous ceux qui pensent que le travail libĂšre l'homme... "En effet, j'en suis venu Ă penser que l'on travaille beaucoup trop de par le monde, que de voir dans le travail une vertu cause un tort immense, et qu'il importe Ă prĂ©sent de faire valoir dans les pays industrialisĂ©s un point de vue qui diffĂšre radicalement des prĂ©ceptes traditionnels." "... la voie du bonheur et de la prospĂ©ritĂ© passe par une diminution mĂ©thodique du travail." "Il existe deux types de travail le premier consiste Ă dĂ©placer une certaine quantitĂ© de matiĂšre... le second, Ă dire Ă quelqu'un d'autre de le faire. Le premier type de travail est dĂ©sagrĂ©able et mal payĂ© ; le second est agrĂ©able et trĂšs bien payĂ©." "La morale du travail est une morale d'esclave, et le monde moderne n'a nul besoin de l'esclavage."Bonne lecture...Eloge de l'oisivetĂ© de Bertrand Russell, Ă©ditions Allia, Petite collection, Paris - 6,10 âŹ.
Bertrand Russell Avant de lire la suite, je vous invite Ă regarder la piĂšce de Dominique Rongvaux intitulĂ©e âĂloge de lâoisivetĂ©â Bertrand Russell traduit par M. Parmentier Ainsi que la plupart des gens de ma gĂ©nĂ©ration, jâai Ă©tĂ© Ă©levĂ© selon le principe que lâoisivetĂ© est mĂšre de tous vices. Comme jâĂ©tais un enfant pĂ©tris de vertu, je croyais tout ce quâon me disait, et je me suis ainsi dotĂ© dâune conscience qui mâa contraint Ă peiner au travail toute ma vie. Cependant, si mes actions ont toujours Ă©tĂ© soumises Ă ma conscience, mes idĂ©es, en revanche, ont subi une rĂ©volution. En effet, jâen suis venu Ă penser que lâon travaille beaucoup trop de par le monde, que de voir dans le travail une vertu cause un tort immense, et quâil importe Ă prĂ©sent de faire valoir dans les pays industrialisĂ©s un point de vue qui diffĂšre radicalement des prĂ©ceptes traditionnels. Tout le monde connaĂźt lâhistoire du voyageur qui, Ă Naples, vit 12 mendiants Ă©tendus au soleil câĂ©tait avant Mussolini, et proposa une lire Ă celui qui se montrerait le plus paresseux. 11 dâentre eux bondirent pour venir la lui rĂ©clamer il la donna donc au 12e. Ce voyageur Ă©tait sur la bonne piste. Toutefois, dans les contrĂ©es qui ne bĂ©nĂ©ficient pas du soleil mĂ©diterranĂ©en, lâoisivetĂ© est chose plus difficile, et il faudra faire beaucoup de propagande auprĂšs du public pour lâencourager Ă la cultiver. JâespĂšre quâaprĂšs avoir lu les pages qui suivent, les dirigeants du YMCA lanceront une campagne afin dâinciter les jeunes gens honnĂȘtes Ă ne rien faire, auquel cas je nâaurais pas vĂ©cu en vain. Avant dâexposer mes arguments en faveur de la paresse, il faut que je rĂ©fute un raisonnement que je ne saurais accepter. Quand quelquâun a dĂ©jĂ suffisamment dâargent pour vivre envisage de prendre un emploi ordinaire, dâenseignants ou de dactylos par exemple, on lui dit que cela revient Ă ĂŽter le pain de la bouche Ă quelquâun dâautre et que câest donc mal faire. Si ce raisonnement Ă©tait valide, nous nâaurions tous quâĂ demeurer oisifs pour avoir du pain plein la bouche. Ce quâoublient ceux qui avancent de telles choses, câest que normalement on dĂ©pense ce que lâon gagne, et quâainsi on crĂ©e de lâemploi. Tant quâon dĂ©pense son revenu, on met autant de pain dans la bouche des autres en dĂ©pensant quâon en retire en gagnant de lâargent. Le vrai coupable, dans cette perspective, câest lâĂ©pargnant. Sâil se contente de garder ses Ă©conomies dans un bas de laine, il est manifeste que celles-ci ne contribuent pas Ă lâemploi. Si, par contre, ils les investit, cela devient plus compliquĂ©, et divers cas se prĂ©sentent. Lâune des choses les plus banales que lâon puisse faire de ses Ă©conomies, câest de les traiter Ă lâĂtat. Ătant donnĂ© que le gros des dĂ©penses publiques de la plupart des Ătats civilisĂ©s est consacrĂ©s soit au remboursement des dettes causĂ©es par des guerres antĂ©rieures, soit Ă la prĂ©paration de guerres Ă venir, celui qui prĂȘte son argent Ă lâĂtat se met dans une situation similaire Ă celle des vilains personnages qui, dans les piĂšces de Shakespeare, en gage des assassins. En fin de compte, le produit de son Ă©conomie sert Ă accroĂźtre les forces armĂ©es de lâĂtat auquel il prĂȘte ses Ă©pargnes. De toute Ă©vidence, il vaudrait mieux quâils dĂ©pensent son pĂ©cule, quitte Ă le jouer ou Ă le boire. Mais, me direz-vous, le cas est totalement diffĂ©rent si lâĂ©pargne est investie dans des entreprises industrielles. Câest vrai, du moins quand de telles entreprises rĂ©ussissent et produisent quelque chose dâutile. Cependant, de nos jours, nul ne peut nier que la plupart des entreprises Ă©chouent. Ce qui veut dire quâune grande partie du travail humain aurait pu ĂȘtre consacrĂ©e Ă produire quelque chose dâutile et agrĂ©able sâest dissipĂ©e dans la fabrication de machines qui, une fois fabriquĂ©es, sont restĂ©s inutilisĂ©es sans profiter Ă personne. Celui qui investit ses Ă©conomies dans une entreprise qui fait faillite cause donc du tort aux autres autant quâĂ lui-mĂȘme. Si, par exemple, il dĂ©pensait son argent en fĂȘtes pour ses amis, ceux-ci on peut lâespĂ©rer en retireraient du plaisir, ainsi dâailleurs que tous ceux chez qui il sâapprovisionnerait, comme le boucher, le boulanger et le bootlegger. Mais sâil le dĂ©pense, par exemple, pour financer la pose de rails de tramway en un endroit oĂč il nâen a que faire, il a dĂ©viĂ© une somme de travail considĂ©rable dans des voies oĂč ce travail ne procure de plaisir Ă personne. NĂ©anmoins, quand la faillite de son investissement lâaura rĂ©duit Ă la pauvretĂ©, on le considĂ©rera comme la victime dâun malheur immĂ©ritĂ©, tandis que le joyeux prodigue, malgrĂ© le caractĂšre philanthropique de ses dĂ©penses, sera mĂ©prisĂ© pour sa bĂȘtise et sa frivolitĂ©. Tout ceci nâest que prĂ©ambule. Pour parler sĂ©rieusement, ce que je veux dire, câest que le fait de croire que le TRAVAIL est une vertu est la cause de grands mots dans le monde moderne, et que la voie bonheur et de la prospĂ©ritĂ© passe par une diminution mĂ©thodique du travail. Et dâabord, quâest-ce que le travail ? Il existe deux types de travail le premier consiste Ă dĂ©placer une certaine quantitĂ© de matiĂšre se trouvant Ă la surface de la terre, ou dans le sol mĂȘme ; le second, Ă dire Ă quelquâun dâautre de le faire. Le premier type de travail est dĂ©sagrĂ©able et mal payĂ© ; le second est agrĂ©able et trĂšs bien payĂ©. Le second type de travail peut sâĂ©tendre de façon illimitĂ©e il y a non seulement ceux qui donnent des ordres, mais aussi ceux qui donnent des conseils sur le genre dâordres Ă donner. Normalement, deux sortes de conseils sont donnĂ©s simultanĂ©ment par deux groupes organisĂ©s câest ce quâon appelle la politique. Il nâest pas nĂ©cessaire pour accomplir ce type de travail de possĂ©der des connaissances dans le domaine oĂč lâon dispense des conseils ce quâil faut par contre, câest maĂźtriser lâart de persuader par la parole et par lâĂ©crit, câest-Ă -dire lâart de la publicitĂ©. Partout en Europe, mais pas en AmĂ©rique, il existe une troisiĂšme classe dâindividus, plus respectĂ©e que ne lâest aucune des deux autres. Ce sont des gens qui, parce qui possĂšdent des terres, sont en mesure de faire payer aux autres le privilĂšge dâĂȘtre autorisĂ©s Ă exister et Ă travailler. Ces propriĂ©taires fonciers sont des oisifs et on pourrait donc sâattendre Ă ce que jâen fasse lâĂ©loge. Malheureusement, leur oisivetĂ© nâest rendue possible que par lâindustrie des autres ; en fait, leur dĂ©sir dâune oisivetĂ© confortable est, dâun point de vue historique, la source mĂȘme du dogme du travail. La derniĂšre chose quâils voudraient serait que dâautres suivent leur exemple. Depuis le dĂ©but de la civilisation jusquâĂ la RĂ©volution industrielle, en rĂšgle gĂ©nĂ©rale, un homme ne pouvait guĂšre produire par son labeur plus quâil ne lui fallait, Ă lui et Ă sa famille, pour subsister mĂȘme si sa femme peinait Ă la tĂąche au moins autant que lui, et si ses enfants se joignaient Ă eux des petits en Ă©taient capables. Le peu dâexcĂ©dent qui restait lorsquâon avait assurĂ© les choses essentielles de la vie nâĂ©tait pas concernĂ© par ceux qui lâavaient produit câĂ©taient les guerriers et les prĂȘtres se lâappropriaient. Par temps de famine, il nây avait pas dâexcĂ©dent, mais les prĂȘtres et les guerriers prĂ©levaient leur dĂ» comme de rien nâĂ©tait, en sorte que nombre de travailleurs mourait de faim. Câest le systĂšme que connut la Russie jusquâen 1917 et qui perdure encore en Orient. En Angleterre, malgrĂ© la RĂ©volution industrielle, il continua Ă sĂ©vir tout au long des guerres napolĂ©oniennes et jusque dans les annĂ©es 1830, qui virent la montĂ©e dâune nouvelle classe de manufacturiers. En AmĂ©rique, il prit fin avec la RĂ©volution, sauf dans le Sud, oĂč il se perpĂ©tua jusquâĂ la Guerre de SĂ©cession. Un systĂšme qui a durĂ© aussi longtemps et qui nâa pris fin que si rĂ©cemment a naturellement laissĂ© une marque profonde dans les pensĂ©es et les opinions des gens. La plupart de nos convictions quant aux avantages du travail sont issus de ce systĂšme Ă©tant donnĂ© leurs origines prĂ©-industrielles, il est Ă©vident que ces idĂ©es ne sont pas adaptĂ©es au monde moderne. La technique moderne a permis aux loisirs, jusquâĂ un certain point, de cesser dâĂȘtre la prĂ©rogative des classes privilĂ©giĂ©es minoritaires pour devenir un droit Ă©galement rĂ©parti dans lâensemble de la collectivitĂ©. La morale travail est une morale dâesclave, et le monde moderne nâa nul besoin de lâesclavage. De toute Ă©vidence, sâils avaient Ă©tĂ© laissĂ©s Ă eux mĂȘmes, les paysans des collectivitĂ©s primitives ne se seraient jamais dessaisis du maigre excĂ©dent qui devait ĂȘtre consacrĂ© Ă la subsistance des prĂȘtres et des guerriers, mais aurait soit rĂ©duit leur production, soit augmentĂ© leur consommation. Au dĂ©but, câest par la force brute quâils furent contraints de produits ce surplus et de sâen dĂ©munir. Peu Ă peu cependant, on sâaperçut quâil Ă©tait possible de faire accepter Ă bon nombre dâentre eux une Ă©thique selon laquelle il Ă©tait de leur devoir de travailler dur, mĂȘme si une partie de leur travail servait Ă entretenir dâautres individus dans lâoisivetĂ©. De la sorte, la contrainte Ă exercer Ă©tait moindre, et les dĂ©penses du gouvernement en Ă©taient diminuĂ©es dâautant. Encore aujourdâhui, 99 % des salariĂ©s britanniques seraient vĂ©ritablement choquĂ©s si lâon proposait que le roi ne puisse jouir dâun revenu supĂ©rieur Ă celui dâun travailleur. La notion de devoir, point de vue historique sâentend, fut un moyen quâont employĂ© les puissants pour amener les autres Ă consacrer leur vie aux intĂ©rĂȘts de leurs maĂźtres plutĂŽt quâaux leurs. Bien entendu, ceux qui dĂ©tiennent le pouvoir se masquent cette rĂ©alitĂ© Ă eux-mĂȘmes en se persuadant que leurs intĂ©rĂȘts coĂŻncident avec ceux de lâhumanitĂ© tout entiĂšre. Câest parfois vrai les AthĂ©niens qui possĂ©daient des esclaves, par exemple, employĂšrent une partie de leurs loisirs Ă apporter Ă la civilisation une contribution permanente, ce qui aurait Ă©tĂ© impossible sous un rĂ©gime Ă©conomique Ă©quitable. Le loisir est indispensable Ă la civilisation, et, jadis, le loisir dâun petit nombre nâĂ©tait possible que grĂące au labeur du grand nombre. Mais ce labeur avait de la valeur, non parce que le travail est une bonne chose, mais parce que le loisir est une bonne chose. GrĂące Ă la technique moderne, il serait possible de rĂ©partir le loisir de façon Ă©quitable sans porter prĂ©judice Ă la civilisation. La technique moderne a permis de diminuer considĂ©rablement la somme de travail requise pour procurer Ă chacun les choses indispensables Ă la vie. La preuve en fut faite durant la guerre. Au cours de celle-ci, tous les hommes mobilisĂ©s sous les drapeaux, tous les hommes et toutes les femmes affectĂ©s soit Ă la production de munitions, soit encore Ă lâespionnage, Ă la propagande ou Ă un service administratif reliĂ© Ă la guerre, furent retirĂ©s des emplois productifs. MalgrĂ© cela, le niveau de bien-ĂȘtre matĂ©riel de lâensemble des travailleurs nonspĂ©cialisĂ©s cĂŽtĂ© des AlliĂ©s Ă©tait plus Ă©levĂ© quâil ne lâĂ©tait auparavant ou quâil ne lâa Ă©tĂ© depuis. La portĂ©e de ce fait fut occultĂ©e par des considĂ©rations financiĂšres les emprunts donnĂšrent lâimpression que le futur nourrissait le prĂ©sent. Bien sĂ»r, câĂ©tait lĂ chose impossible personne ne peut manger un pain qui nâexiste pas encore. La guerre a dĂ©montrĂ© de façon concluante que lâorganisation scientifique de la production permet de subvenir aux besoins des populations modernes en nâexploitant quâune part minime de la capacitĂ© de travail du monde actuel. Si, Ă la fin de la guerre, cette organisation scientifique laquelle avait Ă©tĂ© mise au point pour dĂ©gager un bon nombre dâhommes afin quâils puissent ĂȘtre affectĂ©s au combat ou au service des munitions avait Ă©tĂ© prĂ©servĂ©e, et si on avait pu rĂ©duire Ă quatre le nombre dâheures de travail, tout aurait Ă©tĂ© pour le mieux. Au lieu de quoi, on en est revenu au vieux systĂšme chaotique oĂč ceux dont le travail Ă©tait en demande devaient faire de longues journĂ©es tandis quâon nâabandonnait le reste au chĂŽmage et Ă la faim. Pourquoi ? Parce que le travail est un devoir et que le salaire dâun individu ne doit pas ĂȘtre proportionnĂ© Ă ce quâil produit, mais proportionnĂ© Ă sa vertu, laquelle se mesure Ă son industrie. On reconnaĂźt la morale de lâĂtat esclavagiste, mais sâappliquant cette fois dans des circonstances qui nâont rien Ă voir avec celles dans lesquelles celui-ci a pris naissance. Comment sâĂ©tonner que le rĂ©sultat est Ă©tĂ© dĂ©sastreux. Prenons un exemple. Supposons quâĂ un moment donnĂ©, un certain nombre de gens travaillent Ă fabriquer des Ă©pingles. Ils fabriquent autant dâĂ©pingles quâil en faut dans le monde entier, en travaillant, disons, huit heures par jour. Quelquâun met au point une invention qui permet au mĂȘme nombre de personnes de faire deux fois plus dâĂ©pingles auparavant. Bien, mais le monde nâa pas besoin de deux fois plus dâĂ©pingles les Ă©pingles sont dĂ©jĂ si bon marchĂ© quâon nâen achĂštera guĂšre davantage mĂȘme si elles coĂ»tent moins cher. Dans un monde raisonnable, tous ceux qui sont employĂ©s dans cette industrie se mettraient Ă travailler quatre heures par jour plutĂŽt que huit, et tout irait comme avant. Mais dans le monde rĂ©el, on craindrait que cela ne dĂ©moralise les travailleurs. Les gens continuent donc Ă travailler huit heures par jour, il y a trop dâĂ©pingles, des employeurs font faillite, et la moitiĂ© des ouvriers perdent leur emploi. Au bout du compte, la somme de loisirs est la mĂȘme dans ce cas-ci que dans lâautre, sauf que la moitiĂ© des individus concernĂ©s en sont rĂ©duits Ă lâoisivetĂ© totale, tandis que lâautre moitiĂ© continue Ă trop travailler. On garantit ainsi que le loisir, par ailleurs inĂ©vitable, sera cause de misĂšre pour tout le monde plutĂŽt que dâĂȘtre une source de bonheur universel. Peut-on imaginer plus absurde ? LâidĂ©e que les pauvres puissent avoir des loisirs a toujours choquĂ© les riches. En Angleterre, au XIXe siĂšcle, la journĂ©e de travail normal Ă©tait de quinze heures pour les hommes, de douze heures pour les enfants, bien que ces derniers est parfois travaillĂ© quinze heures eux aussi. Quand des fĂącheux, des empĂȘcheurs de tourner en rond suggĂ©raient que câĂ©tait peut-ĂȘtre trop, ont leur rĂ©pondait que le travail Ă©vitait aux adultes de sombrer dans lâivrognerie et aux enfants de faire des bĂȘtises. Dans mon enfance, peu aprĂšs que les travailleurs des villes eurent acquis le droit de vote, un certain nombre de jours fĂ©riĂ©s furent Ă©tablis en droit, au grand dam des classes supĂ©rieures. Je me rappelle avoir entendu une vieille duchesse qui disait quâest-ce que les pauvres vont faire avec des congĂ©s ? Câest travailler quâil faut. » De nos jours, les gens sont moins francs, mais conserve les mĂȘmes idĂ©es reçues, lesquels sont en grande partie Ă lâorigine de notre confusion dans le domaine Ă©conomique. Examinons un instant cette morale du travail de façon franche et dĂ©nuĂ©e de superstition. Chaque ĂȘtre humain consomme nĂ©cessairement au cours de son existence une certaine part de ce qui est produit par le travail humain. Si lâon suppose, comme il est lĂ©gitime, que le travail est dans lâensemble dĂ©sagrĂ©able, il est injuste quâun individu consomme davantage quâil ne produit. Bien entendu, il peut fournir des services plutĂŽt que des biens de consommation, comme un mĂ©decin, par exemple ; mais il faut quâil fournisse quelque chose en Ă©change du gĂźte et du couvert. En ce sens, il faut admettre que le travail est un devoir, mais en ce sens seulement. Je nâinsisterai pas sur le fait que dans toutes les sociĂ©tĂ©s modernes, mis Ă part lâURSS, beaucoup de gens Ă©chappent mĂȘme Ă ce minimum de travail, je veux parler de ceux qui reçoivent de lâargent par hĂ©ritage ou par mariage. Je pense quâil est beaucoup moins nuisible de permettre Ă ces gens-lĂ de vivres oisifs que de condamner ceux qui travaillent Ă se crever Ă la tĂąche Ă crever de faim. Si le salariĂ© ordinaire travaillait quatre heures par jour, il y aurait assez de tout pour tout le monde, et pas de chĂŽmage en supposant quâon ait recours Ă un minimum dâorganisation rationnelle. Cette idĂ©e choc les nantis parce quâils sont convaincus que les pauvres ne sauraient comment utiliser autant de loisirs. En AmĂ©rique, les hommes font souvent de longues journĂ©es de travail mĂȘme sâils sont dĂ©jĂ trĂšs Ă lâaise ; de tels hommes sont naturellement indignĂ©s Ă lâidĂ©e que les salariĂ©s puissent connaĂźtre le loisir, sauf sous la forme dâune rude punition pour sâĂȘtre retrouvĂ© au chĂŽmage. En fait, ils exĂšcrent le loisir, mĂȘme pour leurs fils. Chose pourtant curieuse, alors quâils veulent que leur fils travaille tellement quâils nâaient pas le temps dâĂȘtre civilisĂ©s, ça ne les dĂ©range pas que leurs femmes et leurs filles nâaient absolument rien Ă faire. Dans une sociĂ©tĂ© aristocratique, lâadmiration snobisme voue Ă lâinutile sâĂ©tend aux deux sexes, alors que, dans une ploutocratie, elle se limite aux femmes, ce qui nâest dâailleurs pas pour la rendre plus conformes au sens commun. Le bon usage du loisir, il faut le reconnaĂźtre, est le produit de la civilisation et de lâĂ©ducation. Un homme qui a fait de longues journĂ©es de travail toute sa vie sâennuiera sâil est soudain livrĂ© Ă lâoisivetĂ©. Mais sans une somme considĂ©rable de loisir Ă sa disposition, un homme nâa pas accĂšs Ă la plupart des meilleures choses de la vie. Il nây a plus aucune raison pour que la majeure partie de la population subisse cette privation ; seul un ascĂ©tisme irrĂ©flĂ©chi, entretient notre obsession du travail excessif Ă prĂ©sent que le besoin sâen fait sentir. Quoi que le nouveau dogme auquel est soumis le gouvernement de la Russie comporte de grandes diffĂ©rences avec lâenseignement traditionnel de lâOccident, il y a certaines choses qui nâont aucunement changĂ©. Lâattitude des classes gouvernantes, en particulier de ceux qui sâoccupent de propagande Ă©ducative, quant Ă la dignitĂ© du travail, est presque exactement celle que les classes gouvernantes du monde entier ont toujours prĂȘchĂ©e Ă ceux que lâon appelait les bons pauvres ». Ătre industrieux, sobre, disposĂ©s Ă travailler dur pour des avantages lointains, tout cela revient sur le tapis, mĂȘme la soumission Ă lâautoritĂ©. Dâailleurs, lâautoritĂ© reprĂ©sente toujours la volontĂ© du MaĂźtre de lâUnivers, lequel, toutefois, est maintenant connu sous le nom de MatĂ©rialisme Dialectique. La victoire du prolĂ©tariat en Russie a certains points en commun avec la victoire des fĂ©ministes dans dâautres pays. Durant des siĂšcles, les hommes avaient concĂ©dĂ© aux femmes la supĂ©rioritĂ© sur lâĂ©chelle de la saintetĂ© et les avaient consolĂ©s de leur infĂ©rioritĂ© en faisant valoir que la saintetĂ© est plus dĂ©sirable que le pouvoir. Ă la fin, les fĂ©ministes ont dĂ©cidĂ© quâelles voulaient les deux, puisque les premiĂšres dâentre elles croyaient tout ce que les hommes leur avaient racontĂ© sur lâexcellence de la vertu, mais pas ce quâils avaient dit quant Ă lâinsignifiance pouvoir politique. Quelque chose dâanalogue sâest produit en Russie en ce qui a trait au travail manuel. Pendant des siĂšcles, les riches et leurs thurifĂ©raires ont fait lâĂ©loge de lâhonnĂȘte labeur », ont vantĂ© la vie simple, ont professĂ© une religion qui enseigne que les pauvres ont bien plus de chances que les riches dâaller au paradis. En gĂ©nĂ©ral, ils ont essayĂ© de faire croire aux travailleurs manuels que toute activitĂ© qui consiste Ă dĂ©placer de la matiĂšre revĂȘt une certaine forme de noblesse, tout comme les hommes ont tentĂ© de faire croire aux femmes que lâesclavage sexuel leur confĂ©rait une espĂšce de grandeur. En Russie, toutes ces leçons portant sur lâexcellence du travail manuel ont Ă©tĂ© prises au sĂ©rieux, tant et si bien que le travailleur manuel est placĂ© sur un piĂ©destal. On lance ainsi des appels Ă une mobilisation, au nom de valeurs essentiellement passĂ©istes, mais pas Ă des fins traditionnelles, plutĂŽt dans le but de recruter des travailleurs de choc pour des tĂąches dĂ©terminĂ©es. Le travail manuel est idĂ©al que lâon prĂ©sente aux jeunes, il est aussi Ă la base de toute leçon de morale. Pour lâinstant, il est possible que ce soit trĂšs bien ainsi. Un pays immense, regorgeant de ressources naturelles, attend dâĂȘtre dĂ©veloppĂ©, et ce dĂ©veloppement doit sâeffectuer sans quâon puisse recourir au crĂ©dit. Dans de telles circonstances, un travail acharnĂ© est nĂ©cessaire et portera probablement ses fruits. Mais que va-t-il se passer lorsquâon aura atteint le point oĂč il serait possible que tout le monde vive Ă lâaise sans trop travail ? Ă lâOuest, nous avons diverses maniĂšres de rĂ©soudre le problĂšme. En lâabsence de toute tentative de justice Ă©conomique, une grande proportion du produit global va Ă une petite minoritĂ© de la population, laquelle compte beaucoup dâoisifs. Comme il nâexiste pas de contrĂŽle central de la production, nous produisons Ă©normĂ©ment de choses dont nous nâavons pas besoin. Nous maintenons une forte proportion de la main-dâoeuvre en chĂŽmage parce que nous pouvons nous passer dâelle en surchargeant de travail ceux qui restent. Quand toutes ces mĂ©thodes sâavĂšrent insuffisantes, nous faisons la guerre nous employons ainsi un certain nombre de gens Ă fabriquer des explosifs et dâautres Ă les faire Ă©clater, comme si nous Ă©tions des enfants venaient de dĂ©couvrir les feux dâartifice. En combinant ces divers procĂ©dĂ©s, nous parvenons, non sans mal, Ă prĂ©server lâidĂ©e que le travail manuel, long et pĂ©nible, est le lot inĂ©luctable de lâhomme du commun. En Russie, Ă©tant donnĂ© quâil y a plus de justice Ă©conomique et de contrĂŽle centralisĂ© de la production, le problĂšme sera rĂ©solu diffĂ©remment. La solution rationnelle serait, aussitĂŽt quâon aura subvenu aux besoins essentiels de chacun et assurer un minimum de confort, de rĂ©duire graduellement les heures de travail, en laissant Ă la population le soin de dĂ©cider par rĂ©fĂ©rendum, Ă chaque Ă©tape, sâil vaut mieux augmenter le loisir ou la production. Toutefois, comme les autoritĂ©s en place ont fait du labeur la vertu suprĂȘme, on voit mal comment elles pourront viser un paradis oĂč il y aura beaucoup de loisirs et peu de travail. Il semble plus probable quâelles trouveront continuellement de nouvelles raisons de justifier le sacrifice du loisir prĂ©sent au profit dâune productivitĂ© future. Jâai lu rĂ©cemment que des ingĂ©nieurs russes ont proposĂ© un plan assez ingĂ©nieux pour augmenter la tempĂ©rature de la mer Blanche et du littoral septentrional de la SibĂ©rie en construisant un barrage sur la mer de Kara. Projet admirable, mais qui risque de reporter dâune gĂ©nĂ©ration le confort des prolĂ©taires, pendant que lâeffort laborieux dĂ©ploie toute sa noblesse parmi les champs de glace et les tempĂȘtes de neige de lâocĂ©an Arctique. Si une telle entreprise devait voir le jour, elle ne saurait rĂ©sulter que dâune conception du travail pĂ©nible comme fin en soi, plutĂŽt que comme moyen de parvenir Ă un Ă©tat de choses oĂč ce genre de travail ne sera plus nĂ©cessaire. Le fait est que lâactivitĂ© qui consiste Ă dĂ©placer de la matiĂšre, si elle est, jusquâĂ un certain point, nĂ©cessaire Ă notre existence, nâest certainement pas lâune des fins de la vie humaine. Si câĂ©tait le cas, nous devrions penser que nâimporte quel terrassier est supĂ©rieur Ă Shakespeare. Deux facteurs nous ont induit en erreur Ă cet Ă©gard. Lâun, câest quâil faut bien faire en sorte que les pauvres soient contents de leur sort, ce qui a conduit les riches, durant des millĂ©naires, Ă prĂȘcher la dignitĂ© du travail, tout en prenant bien soin eux-mĂȘmes de manquer Ă ce noble idĂ©al. Lâautre est le plaisir nouveau que procure la mĂ©canique en nous permettant dâeffectuer Ă la surface de la terre des transformations dâune Ă©tonnante ingĂ©niositĂ©. En fait aucun de ces deux facteurs ne saurait motiver celui qui doit travailler. Si vous lui demandez son opinion sur ce quâil y a de mieux dans sa vie, il y a peu de chances quâils vous rĂ©pondent jâaime le travail manuel parce que ça me donne lâimpression dâaccomplir la tĂąche la plus noble de lâhomme, et aussi par ce que jâaime penser aux transformations que lâhomme est capable de faire subir Ă sa planĂšte. Câest vrai que mon corps a besoin de pĂ©riodes de repos, oĂč il faut que je mâoccupe du mieux que je peux, mais je ne suis jamais aussi content que quand vient le matin et que je peux retourner Ă la besogne qui est la source de bonheur. » Je nâai jamais entendu dâouvriers parler de la sorte. Ils considĂšrent, Ă juste titre, que le travail est un moyen nĂ©cessaire pour gagner sa vie, et câest leurs heures de loisir quâils tirent leur bonheur, tel quâil est. On dira que, bien quâil soit agrĂ©able dâavoir un peu de loisirs, sâils ne devaient travailler que quatre heures par jour, les gens ne sauraient pas comment remplir leurs journĂ©es. Si cela est vrai dans le monde actuel, notre civilisation est bien en faute ; Ă une Ă©poque antĂ©rieure, ce nâaurait pas Ă©tĂ© le cas. Autrefois, les gens Ă©taient capables dâune gaietĂ© et dâun esprit ludique qui ont Ă©tĂ© plus ou moins inhibĂ©s par le culte de lâefficacitĂ©. Lâhomme moderne pense que toute activitĂ© doit servir Ă autre chose, quâaucune activitĂ© ne doit ĂȘtre une fin en soi. Les gens sĂ©rieux, par exemple, condamnent continuellement lâhabitude dâaller au cinĂ©ma, et nous disent que câest une habitude les jeunes au crime. Par contre, tout le travail que demande la production cinĂ©matographique est respectable, parce quâil gĂ©nĂšre des bĂ©nĂ©fices financiers. LâidĂ©e que les activitĂ©s dĂ©sirables sont celles qui engendrent des profits a tout mis Ă lâenvers. Le boucher, qui vous fournit en viande, et le boulanger, qui vous fournit en pain, sont dignes dâestime parce quâil gagnait de lâargent ; mais vous, quand vous savourez la nourriture quâils vous ont fournie, vous nâĂȘtes que frivole, Ă moins que vous ne mangiez dans lâunique but de reprendre des forces avant de vous remettre au travail. De façon gĂ©nĂ©rale, on estime que gagner de lâargent, câest bien, mais que le dĂ©penser, câest mal. Quelle absurditĂ©, si lâon songe quâil y a toujours deux parties dans une transaction autant soutenir que les clĂ©s, câest bien, mais les trous de serrure, non. Si la production de biens a quelque mĂ©rite, celui-ci ne saurait rĂ©sider que dans lâavantage quâil peut y avoir Ă les consommer. Dans notre sociĂ©tĂ©, lâindividu travaille pour le profit, mais la finalitĂ© sociale de son travail rĂ©side dans la consommation de ce quâil produit. Câest ce divorce entre les fins individuelles et les fins sociales de la production qui empĂȘche les gens de penser clairement dans un monde oĂč câest le profit qui motive lâindustrie. Nous pensons trop Ă la production, pas assez Ă la consommation. De ce fait, nous attachons trop peu dâimportance au plaisir et au bonheur simple, et nous ne jugeons pas la production en fonction du plaisir quâelle procure aux consommateurs. Quand je suggĂšre quâil faudrait rĂ©duire Ă quatre le nombre dâheures de travail, je ne veux pas laisser entendre quâil faille dissiper en pure frivolitĂ© tout le temps qui reste. Je veux dire quâen travaillant quatre heures par jour, un homme devrait avoir droit aux choses qui sont essentielles pour vivre dans un minimum de confort, et quâil devrait pouvoir disposer du reste de son temps comme bon lui semble. Dans un tel systĂšme social, il est indispensable que lâĂ©ducation soit poussĂ©e beaucoup plus loin quâelle ne lâest actuellement pour la plupart des gens, et quâelle vise, en partie, Ă dĂ©velopper des goĂ»ts qui puissent permettre Ă lâindividu dâoccuper ses loisirs intelligemment. Je ne pense pas principalement aux choses dites pour intellos ». Les danses paysannes, par exemple, ont disparu, sauf au fin fond des campagnes, mais les impulsions qui ont commandĂ© Ă leur dĂ©veloppement doivent toujours exister dans la nature humaine. Les plaisirs des populations urbaines sont devenus essentiellement passifs aller au cinĂ©ma, assistĂ© Ă des matchs de football, Ă©couter la radio, etc. Cela tient au fait que leurs Ă©nergies actives sont complĂštement accaparĂ©es par le travail ; si ces populations avaient davantage de loisir, elles recommenceraient Ă goĂ»ter des plaisirs auxquels elles prenaient jadis une part active. Autrefois, il existait une classe oisive assez restreinte et une classe laborieuse plus considĂ©rable. La classe oisive bĂ©nĂ©ficiait davantage qui ne trouvaient aucun fondement dans la justice sociale, ce qui la rendait nĂ©cessairement despotique, limitait sa compassion, et lâamenait Ă inventer des thĂ©ories qui pussent justifier ses privilĂšges. Ces caractĂ©ristiques flĂ©trissaient quelque peu ses lauriers, mais, malgrĂ© ce handicap, câest Ă elle que nous devons la quasi-totalitĂ© de ce que nous appelons la civilisation. Elle a cultivĂ© les arts et dĂ©couverts les sciences ; elle a Ă©crit les livres, inventĂ© les philosophies et affinĂ© les rapports sociaux. MĂȘme la libĂ©ration des opprimĂ©s a gĂ©nĂ©ralement reçu son impulsion dâen haut. Sans la classe oisive, lâhumanitĂ© ne serait jamais sortie de la barbarie. Toutefois, cette mĂ©thode consistant Ă entretenir une classe oisive dĂ©chargĂ©e de toute obligation entraĂźnait un gaspillage considĂ©rable. Aucun des membres de cette classe nâavait appris Ă ĂȘtre industrieux, et, dans son ensemble, la classe elle-mĂȘme nâĂ©tait pas exceptionnellement intelligente. Elle a pu engendrer un Darwin, mais, en contrepartie, elle a pondu des dizaines de milliers de gentilhomme campagnard dont les aspirations intellectuelles se bornaient Ă chasser le renard et Ă punir les braconniers. Ă prĂ©sent, les universitĂ©s sont censĂ©es fournir, dâune façon plus systĂ©matique, ce que la classe oisive produisait de façon accidentelle comme une sorte de sous-produits. Câest lĂ un grand progrĂšs, mais qui nâest pas sans inconvĂ©nient. La vie universitaire est si diffĂ©rente de la vie dans le monde commun que les hommes dans un tel milieu nâont gĂ©nĂ©ralement aucune notion des problĂšmes et des prĂ©occupations des hommes et des femmes ordinaires. De plus, leur façon de sâexprimer tant Ă priver leurs idĂ©es de lâinfluence quâelle mĂ©riterait dâavoir auprĂšs du public. Un autre dĂ©savantage tient au fait que les universitĂ©s sont des organisations, et quâĂ ce titre, elle ne risquent de dĂ©courager celui dont les recherches empreintent des voies inĂ©dites. Aussi utile quâelle soit, lâuniversitĂ© nâest donc pas en mesure de veiller de façon adĂ©quate aux intĂ©rĂȘts de la civilisation dans un monde oĂč tous ceux qui vivent en dehors de ses murs sont trop pris par leurs prĂ©occupations sâintĂ©resser Ă des recherches sans but utilitaire. Dans un monde oĂč personne nâest contraint de travailler plus de quatre heures par jour, tous ceux quâanime la curiositĂ© scientifique pourront lui donner libre cours, et tous les peintres pourront peindre sans pour autant vivre dans la misĂšre en dĂ©pit de leur talent. Les jeunes auteurs ne seront pas obligĂ©s de se faire de la rĂ©clame en Ă©crivant des livres alimentaires Ă sensation, en vue dâacquĂ©rir lâindĂ©pendance financiĂšre que nĂ©cessitent les oeuvres monumentales quâils auront perdues le goĂ»t et la capacitĂ© de crĂ©er quand ils seront enfin libres de sây consacrer. Ceux qui, dans leur vie professionnelle, se sont pris dâintĂ©rĂȘt pour telle ou telle phase de lâĂ©conomie ou du gouvernement, pourront dĂ©velopper leurs idĂ©es sans sâastreindre au dĂ©tachement qui est de mise chez les universitaires, dont les travaux en Ă©conomie paraissent souvent quelque peu dĂ©collĂ©s de la rĂ©alitĂ©. Les mĂ©decins auront le temps de se tenir au courant des progrĂšs de la mĂ©decine, les enseignants ne devront pas se dĂ©mener, exaspĂ©rĂ©s, pour enseigner par des mĂ©thodes routiniĂšres des choses quâils ont apprises dans leur jeunesse et qui, dans lâintervalle, ce sont peut-ĂȘtre rĂ©vĂ©lĂ©s fausses. Surtout, le bonheur et la joie de vivre prendront la place de la fatigue nerveuse, de la lassitude et de la dyspepsie. Il y aura assez de travail Ă accomplir pour rendre le loisir dĂ©licieux, mais pas assez pour conduire Ă lâĂ©puisement. Comme les gens ne seront pas trop fatiguĂ©s dans leur temps libre, ils ne rĂ©clameront pas pour seuls amusements ceux qui sont passifs et insipides. Il y en aura bien 1 % qui consacreront leur temps libre Ă des activitĂ©s dâintĂ©rĂȘt public, et, comme ils ne dĂ©pendront pas de ces travaux pour gagner leur vie, leur originalitĂ© ne sera pas entravĂ©e et ils ne seront pas obligĂ©s de se conformer aux critĂšres Ă©tablis par de vieux pontifes. Toutefois, ce nâest pas seulement dans ces cas exceptionnels que se manifesteront les avantages du loisir. Les hommes et les femmes ordinaires, deviendront plus enclin Ă la bienveillance quâĂ la persĂ©cution et Ă la suspicion. Le goĂ»t pour la guerre disparaĂźtra, en partie pour la raison susdite, mais aussi parce que celle-ci exigera de tous un travail long et acharnĂ©. La bontĂ© est, de toutes les qualitĂ©s morales, celle dont le monde a le plus besoin, or la bontĂ© est le produit de lâaisance et de la sĂ©curitĂ©, non dâune vie de galĂ©riens. Les mĂ©thodes de production modernes nous ont donnĂ© la possibilitĂ© de permettre Ă tous de vivre dans lâaisance et la sĂ©curitĂ©. Nous avons choisi, Ă la place, le surmenage pour les uns et la misĂšre pour les autres en cela, nous sommes montrĂ©s bien bĂȘte, mais il nây a pas de raison pour persĂ©vĂ©rer dans notre bĂȘtise indĂ©finiment.
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